Jean-Xavier Renaud


Images du monde comme il va


Si les remords pouvaient s'estomper comme on apaise les maux d'estomac, cela se saurait. Les dessins de Jean-Xavier Renaud dépeignent une société où il y aurait un remède à tout, là c'est Rénisulfatine qui en vient à bout des remords, ailleurs Pépé chamane guiderait les acteurs financiers dans leurs placements. Culpabilité rachetée à bon compte, crack boursier à la merci du chamanisme, mais aussi refrains de chansons à succès et publicités revisitées composent un univers décadent.


Des dessins très synthétiques, épurés comme des billets d'humeur acérés, rappellent le style de certaines chroniques dessinées réagissant à l'actualité (cf. Wilhem dans Libération). D'autres, aidés par la fluidité de l'aquarelle, un format plus large et un goût pour la saturation par l'information, évoquent le principe des fresques où des scènes dans lesquelles plusieurs niveaux et réactions peuvent se superposer, se lire et s'enchaîner dans des ordres différents. Comme des scènes parallèles découlant d'un même événement associant leurs suites dans une même aquarelle ; ils décrivent un devenir schizophrénique où plusieurs temps et plusieurs espaces sont en conflit.


Jean-Xavier Renaud cultive donc une profusion d'images, parfois au sein d'un même dessin mais aussi au sein d'une exposition, quand il en tapisse les murs du sol au plafond. Ses sources iconographiques proviennent des clichés de la vie en société, de la pléthore d'images médiatiques, ou même de ses rêves et de ses fantasmes. Encore un artiste, me direz-vous, qui, dans une esthétique post-pop, redigère les icônes du temps présent ? Non, ni cyber-punk, ni néo-grunge sa liberté stylistique peut rappeler la brutalité du dessin d'enfant, un certain néo-expressionnisme mais aussi les aquarelles de Polke ou encore les dessins de Petitbon.


Accélérer


Ses dessins ou ses aquarelles semblent presque toujours être le fruit de l'urgence : urgence de répondre à ce qu'il voit et entend, comme s'il s'efforçait de réduire au minimum la distance et le temps qui sépare ses dessins du réel observé. Il est comme saisi à travers les images qui lui viennent à l'esprit, les associations d'idées qu'il lui inspire, la rage qui lui chauffe les tempes. Jean-Xavier Renaud tient la chronique de son époque en réagissant selon un mode épidermique. On y perçoit une vitesse, des souvenirs, une rumeur du monde, le reflet immédiat du miroir que nous tend la réalité. La rapidité d'exécution est rythmée par des invectives, des bouts de texte nous donnant le sens de l'histoire dans laquelle nous faisons irruption. Il nous présente la vie comme un enchaînement de clichés dont il force légèrement le trait, juste de quoi les rendre un peu plus invivables, objectivement abjectes (ce qu'ils ont toujours été), telle cette représentation d'un cocktail mondain où, en guise de formule convenue, chacun se demande : “tu suces ?” Une vulgarité en remplace une autre, simplement, cette dernière est identifiable comme telle.


L'évidence affirmée ici donne ailleurs une vitesse dans des dessins où il cultive une certaine littéralité, qu'il s'agisse du salon de l'auto ou d'une blonde aux yeux de biche dont les lèvres sont deux limaces rouges, du genre de celles que l'on écrase sur des chemins après la pluie. L'adéquation entre l'idée et le mot ou celle entre l'image mentale et l'image présentée se passe de commentaire.


Ralentir


A cette impression de prise directe, certains dessins offrent une distance, voire un différé. A plusieurs occasions ils privilégient un point de vue d'observateurs ou intègrent celui-ci. Des scènes ou des portraits sont auréolés d'un pourtour coloré ovale : un cadre qui nous spécifie que nous sommes dans le domaine de la représentation, de la fiction éclairée d'un coup de projecteur. D'autres offrent clairement la vision d'un espace (cuisine, salon...) comme filmé par une caméra de surveillance.


“J'y peut rien ! c'est en enfant !” , crie une mère désemparée, comme il y en a tant, face à un petit monstre qui, depuis sa poussette, dévaste tout alentours et pourrait écraser des êtres humains rétrécis à la taille de jouets. Dans la partie supérieure gauche du dessin, un œil dubitatif observe la scène à travers une trappe ménagée dans la porte, comme en comporte celle d'une cellule ou d'un asile. Ailleurs, le loup et la chèvre de Monsieur Seguin sont comme téléguidés par un bonhomme à l'air goguenard fiché sur un rocher. Dans quel film, quel jeu vidéo ou quelle émission de télé-réalité sommes-nous ?


La phrase :“Combien y a-t-il d'espèces menacées” répétée inlassablement oscille entre le jeu télévisé et l'interrogatoire musclé. Rien n'est explicitement présenté comme tel, mais la violence contenue en rappelle la tension et le suspens ou, pire encore, l'incitation à la haine dans un monde où il n'y aurait toujours qu'une seule réponse possible. Constellée de petits yeux observant la scène (sont-ce ceux des caméras, ceux des spectateurs devant leur tube cathodique ?) et avec une violence à peine masquée, cette aquarelle pourrait bien indiquer que Nous sommes fortement menacés.


Stop


À cette prise de recul s'en ajoute une autre : l'apparition récurrente de portraits d'animaux en pied, notamment des oiseaux : chouettes, piaffes... L'animal insaisissable, toujours prompt à s'envoler est soudainement fixé sur le papier, l'œil rond. Alors qu'il n'est normalement que soubresauts, l'oiseau reste coi face à l'hystérie généralisée de ce monde où tout dérape et dégénère. Mêlés à d'autres dessins, ils figurent une pause visuelle et rythmique. Ils deviennent les spectateurs calmes de nos réactions. cette fois-ci c'est nous qui sommes observés, spectateurs qui deviennent acteurs.


À fond


Cette réversibilité ou instabilité des rôles, Jean-Xavier Renaud l'envisage sous toutes ses formes, afin de rester le plus perméable possible à ce qui vient de l'extérieur, au point d'en devenir cet extérieur, de devenir son image : une pure surface d'exposition.


En effet, cette fascination pour les images façonnées par les médias lui fait parfois jouer le jeu de l'image de soi construite par les médias, proche en ce sens des portraits et autoportraits de Kippenberger. Dans une série, il apparaît dans des poses dont les expressions affectées sont celles des portraits des vedettes du petit écran quand ils apparaissent dans les magazines ; il a la mimique figée, le sourire crispé du présentateur télé ou de l'acteur de publicité.
Jean-Benoît, Pierre-Xavier, Simon-Xavier, peut-il encore savoir qui il est ?


Sandra Cattini